Mali Music


Critique des Inrocks:

Mali Music sortie avr. 2002 (Honest Jon's Records / Capitol)

Bien que limité à une dizaine de jours, son voyage au Mali il y a deux ans a "changé la vie" de Damon Albarn (Blur, Gorillaz). Qu'il ait financé l'album et créé un label – Honest Jon’s Records – pour l'accueillir prouve sa sincérité. La cause humanitaire – Oxfam – à laquelle participe ce disque pourrait le mettre à l’abri de critiques tatillonnes sur un objet aussi hybride.
Mali Music ne ressemble pourtant à aucune des rencontres précédentes entre musiciens pop et africains. Il invente sa propre catégorie, celle des carnets de voyage musicaux. Cette humilité le rend sympathique.
Albarn aboutit à une sorte de guide malin de Bamako, nombre de morceaux portant le nom d’endroits obligés pour tout visiteur de la capitale malienne. Cette option touristique facilite la désinvolture avec laquelle il s’est constitué un petit catalogue de traditions du pays : un échantillonnage de chants sonrhaïs qu’interprète Afel Bocoum, les mélodies de griots comme Toumani Diabaté, de rap malien avec Les Escrocs, de blues-pop des rives du Niger tel que l’invente Lobi Traoré et de virtuosité mandingue, grâce à Néba Solo. Pourtant, ce n’est en rien un document sonore mais la conjugaison inédite de moments spontanés et d’habillages technologiquement élaborés.
Le chanteur se promène sur fond de dub paresseux, un mélodica aux lèvres, tentant de communiquer l’impression de dépaysement, y réussissant parfois.
Cette sincérité saura-t-elle pour autant convaincre les fans des Goriblur découvrant leur chouchou en boubou (c’est une image) tapant le bœuf avec des griots dans une gargote de Bamako ?

 

LA VOIX DE BLUR À L'ÉCOUTE DU MALI Par Bouziane DAOUDI (Libération du jeudi 25 avril 2002)

«Lui, il fait du bruit. Il vient d'une société industrielle, nous du désert. Nous, nous devons nous concentrer car c'est une musique très énergique.» Afel Bocoum

Après Cuba, le Mali serait-il en train de devenir la nouvelle destination à sensation pour musiciens occidentaux en mal d'inspiration ou de ressourcement ?
Tête et voix du groupe Blur, responsable aussi de Gorillaz, la star anglaise Damon Albarn vient de réaliser un disque où il métisse culture malienne et racines pop. Il est le participant le plus connu d'une série de disques consacrés aux rythmes maliens et plus ou moins réalisés par des musiciens du Nord, le plus souvent à Bamako.
La fameuse et introuvable musique africaine reviendrait-elle au premier plan par le biais de cette nouvelle Mecque de la cadence mulâtre ? Fusion.
On assiste en ce début d'année à la sortie en nombre d'albums fusionnant Mali et musiques du Nord : Electro Bamako rassemble la chanteuse bambara Mamani Keita et le Français electro-jazzy Marc Minelli ; Timbuktu porte le chant du conducteur d'autobus de Bamako Issa Bagayoko, produit par l'ex-basse de Double Nelson, Philippe Berthier ; R'n'Brousse a été enregistré dans la capitale malienne par des anciens de la funky et parisienne Malka Family ; Frédéric Galliano and the African Divas croise, le temps d'un double CD, le DJ vedette du label techno parisien F Communication et de puissantes voix maliennes dont la diva du wassoulou Nahawa Doumbia ; MALIcool résume la confrontation jazzy du tromboniste blanc américain Roswell Rudd avec quelques complices maliens, dont Toumani Diabaté ; Mali mélo clame l'amour du rythme malien du chanteur percussionniste d'Amiens Toma Sidibé. Sans parler de la publication d'enregistrements «proprement» maliens tel Mouffou, le nouveau Salif Keita ; Wati, du couple Amadou et Mariam qui y invite Sergent Garcia, Jean-Philippe Rykiel ou Valentin Clastrier et sa vielle à roue ; ou encore Alkibar, d'Afel Bocoum... Ambiance inédite.

Boubou bleu électrique et galurin sombre sur le crâne, Afel raconte : «C'est lui qui est venu nous chercher. Il nous avait envoyé ses mélodies. Il nous a demandé de chanter dessus. C'était rapide, énergique. Il ne fallait pas faire d'erreurs. On n'avait pas l'habitude de travailler comme ça. C'est une expérience extraordinaire.»

Afel Bocoum, comme le joueur de kora Toumani Diabaté «and friends», est le complice de Damon Albarn, responsable d'un disque exubérant, baroque et risqué. Il en ressort une musique au curieux mélange, vif et nonchalant. Soit une quinzaine de morceaux où les musiques claires, parfois attendues, sont régulièrement décalées par les trouvailles électroniques du rocker britannique ­ ou vice versa. Contrepoints dub, bruits de brousse, violon caressant, Albarn provoque régulièrement des ambiances inédites, parfois déroutantes. Il n'a pas choisi la voie facile, comme s'il craignait que sa personnalité, sa popularité et ses moyens ne déséquilibrent un projet où les artistes maliens risquaient fort de se transformer en figuration intelligente.

Sollicité par une puissante ONG anglaise, Oxfam, centrée sur les peuples vivant le long du méridien de Greenwich, Damon Albarn a vite accepté le projet d'un disque dont sa part irait à l'association. Damon est allé au Mali, le cheveu blond planqué sous un bonnet maronnasse, en juillet 2000, quand le thermomètre dépasse les 50 ° au soleil. Instinct ? Intelligence ?
Albarn est parti avec son Melodica, l'instrument où soufflent les enfants en tapotant sur des touches. Décalage des voix. «Chaque jour, je jouais avec des musiciens. J'attendais longtemps, m'imprégnant du rythme avant de jouer avec les groupes que je rencontrais au Mali», dit-il.
Il en revient, à Londres, avec plus de 80 heures d'enregistrement qui auront nécessité une année de montage avant renvoi du résultat au Mali pour que d'autres musiciens du cru, tels Afel Bocoum ou Néba Solo, interviennent dessus. «Nous avons beaucoup à apprendre de cette musique, dit Bocoum. Apprendre à jouerà partir de beaucoup d'instruments. Nous étions éblouis par la technologie. Il y avait un divorce, un décalage entre les voix. Lui, il fait du bruit. Il vient d'une société industrielle, nous du désert. Nous, nous devons nous concentrer, parce que c'est une musique très énergique.»

Une fois les bandes revenues à Londres, Damon les travaille à nouveau. Enfant chéri de la brit-pop, connaissait-il auparavant la terre africaine ?
«Adolescent, on grandit avec le rock, c'est tout. Moi, mes parents étaient spécialisés dans le design arabe. J'ai donc vécu dans un environnement absolument imprégné d'autres cultures»
, précise Damon. Il ajoute être allé souvent en Turquie écouter la diva libanaise Fairuz («J'ai connu son fils Ziad Rahbani, avec qui j'ai un projet pas encore réalisé»).
De surcroît, grand amateur de compilations raï, d'Ali Farka Touré ou Toumani Diabaté... «Le Mali, c'est pour moi une expérience humaine rare. J'ai eu beaucoup de rythmes. La difficulté pour moi a été de mixer la polyrythmie, le ternaire. C'est du jazz. J'aime le jazz. C'est une nouvelle aventure pour le rock. Je ne suis pas Sting», conclut-il, énigmatique.
Damon Albarn part en vacances familiales en Mongolie.